S02E04
C’était un mercredi de la Saint Daniel qui n’avait pas de quoi saler un jambon.
Après un aller-retour à Nancy dans un train à se faire enfumer comme un pâté lorrain, le retour à Strasbourg est marqué par une pagaille indescriptible.
Le tableau clignote et les annulations s’enchainent ‘de l’autre côté’, vers le Sud, ou le temps dure longtemps, et la vie surement, en direction de Bâle ou aucun train n’arrive depuis le début de l’après midi.
Le mien qui part dans une heure vient de s’annuler ; on me demande de manager celui qui arrive en gare, afin de relever un chef de bord prisonnier quelque part et de me rapprocher de l’enfer ou il est important de convoyer un maximum d’’âmes.
On m’apprend que je n’irai pas à Bâle ni à Saint Louis mais serais terminus Mulhouse, ce que bien évidemment les panneaux de la gare n’indiquent pas, faisant de mon équipier et moi deux cibles mouvantes sans plus d’infos que d’assurance de destination.
Peu importe, il faut y aller et le train glisse vers Mulhouse dans les conditions d’une course de caisse à savon, c’est à dire sans être totalement assuré qu’on franchira une ligne d’arrivée quelle qu’elle soit.
Le train ralentit à chaque signal et l’on comprend qu’on n’aura aucune de nos correspondances, il va donc falloir les créer, et aviser la situation minute par minute et manager à vue.
On apprend qu’on va s’arrêter au moins deux fois en pleine voie pour recevoir des ordres de franchissement par dépêche écrite, histoire que soit gravé dans le marbre nos ordres de franchissement de signaux fermés, et qui garantit au passage qu’aucune plaque de marbre ne viendra sceller individuellement notre destin.
Ralentissement au premier arrêt, arrêt prolongé en gare au second, on peut aller chercher l’info et apprendre que des câbles de signalisation ont été rompus, par accident ou malveillance, et laissent tous les signaux de trafic au rouge, rendant plus ou moins aveugle le régulateur qui ressort sans doute ses réglettes et ses feuilles de circulation au moment ou l’on décroche le micro pour informer les voyageurs.
La sincérité paie. On explique, on contextualise, on anticipe pour caler les options en se renseignant de qui va où, en allant voir chaque passager.
On arrivera à Mulhouse avec 45 minutes de retard, et un TGV pour Bâle nous prend nos 20 premiers passagers. Pour la gare précédente pour laquelle il y a deux fois plus de candidats, pas d’autres solutions qu’attendre le prochain TER, mais presque 2H plus tard et non sans incertitude.
Un mot de compassion et nous nous quittons-là. Des passagers viendront nous dire combien la multiplication d’informations et de contacts au fur et à mesure de notre progression les ont fait vivre le train dans sa complexité et qu’ils ont apprécié qu’on vienne à leur rencontre avec empathie et responsabilité. Résignés, mais pas inutilement emportés, d’autant que quand c’est la faute de personne, tout le monde est dans le même train, et le Chef de bord lui, est le seul qui va continuer de morfler.
Par chance, pas de Désabusés dans ce train-là.
Le Désabusé, c’et celui qui reste dans ton train quand tu lui en indiques un plan plus favorable, pour pouvoir t’en faire le reproche à l’arrivée. C’est celui qui t’engueule quand tu t’es plié en douze pour arracher des solutions en te traitant de noms d’oiseaux car il voudrait pouvoir voler. C’est celui qui crie à la grève surprise et n’en démords pas quand toi tu cours dans le froid à devoir te faire traiter de parvenu. C’est celui trouve que le ballast est toujours plus vert ailleurs et te cite systématiquement la Suisse et ses seulement 5000 kilomètres de voies comme le modèle du genre ; et d’ailleurs il ne le pense pas que pour le train et est toujours prêt à faire un procès d’intention à la Société toute entière et la SNCF en particulier. Par chance, le Désabusé ne travaille pas le mercredi après midi.
On me rapatrie dans un train qui attend son tour pour partir et dont le contrôleur initial est perdu dans la nature. Le conducteur bien que pouvant se passer de cette aide du fait d’une machine plus moderne, est plutôt rassuré d’avoir un type à bord qui fera barrage avec les gens qui tambourineront à sa porte pour demander des renseignements qu’il n’a pas, quand il faudra s’arrêter pour récupérer ces fameuses dépêches qui obligent à une certaine concentration, en plus de n’être pas forcément très à l’aise dans l’art d’une communication circonstanciée.
Ma journée n’est pas terminée pour autant, car on m’invite rapidement à en descendre immédiatement pour reprendre une rame de la dernière chance laissée à quai, qui sera la dernière à aller au bout de la ligne, donc St Louis et Bâle et dans laquelle je retrouverai mes voyageurs laissés pour compte sur le quai deux heures plus tôt, compte qu'il faut bien rendre.
Et bien sur, je serai retardé pour récupérer un autre train de la dernière chance qui arrivera lui dans 30 minutes.
C’est que les machines sont aussi attendues ici et là demain matin pour que les trains puissent rependre une journée normale, eux…
La dernière péripétie a lieu en gare de St Louis, ou pourtant Louis IX le Capétien n’a jamais mis les pieds... Le dernier signal au rouge est géré par la Suisse, encore elle, qui a tout éteint et coupé le jus ne pensant plus rien voir venir de la France, et dont ça fait bien longtemps d’ailleurs qu’elle n’attend plus rien. Mais bien obligé d’attendre... C’est ballot que ça arrive dans la dernière gare frontalière qui porte le nom d’un souverain qui a combattu la féodalité.
Cette journée ou tu as passé plus de temps dehors que dedans, après avoir fait les 100 derniers kilomètres dans un taxi, laisse néanmoins une pensée de travail bien fait, ce travail de l’adversité dans lequel le contrôleur peut jouer pleinement un rôle, et est parfois le dernier rempart d’humanité quand tout part à vau-l’eau
Forcément, rentré à 1H30 chez soi à pied faute de derniers transports en commun, la journée n’a pas été très reposante. Il se trouve qu’il faudra bientôt remettre le couvert dans une tournée qui obligera à se lever à 4H30 le surlendemain.
C’est la vie du train, la vie dans le train, tout en entrain…
L’Alchimiste qui a choppé froid.