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(RE)POST

 

Photo du rédacteurPatrice Snoeck

La fille à pendre au téléphone

S02E02




Le train longe les jardins ouvriers en sortant de la gare, ces jungles urbaines aux allures de bidonvilles végétalisés, ou les fameux ouvriers sont en fait des cadres à la retraite qui s’évertuent à faire pousser des tomates cerises avec de l’urine de chien, découvrant de surcroit le bonheur partagé de l’autogestion.


Comme nous entrons dans l’hiver, la végétation est disparate et les cabas Ikea bleus et jaunes recouvrent des champs de poireaux sortis de chimio qui semblent avoir été oubliés là, dans ce méli mélo d’abris de fortune qui ressemble à s’y méprendre à un camp de migrants sous un périphérique. Ce serait donc la qu’on les aurait planqué…


Il est temps de remonter le train comme on remonterait le temps, c’est à dire d’aller chercher auprès des voyageurs toutes les façons de trouver midi à quatorze heure.


Alors, qu’avons-nous aujourd’hui ?


Ici, un Beagle avec son maître bégueule partagent un bagel, et le chien s’en sort mieux que son maître en termes de dignité, c’est presque dommage que ce soit lui qui soit le chouchou des laboratoires.

Et là, une dame à la peau tirée comme un Tam-tam menace de tambouriner un enfant dissipé avec l’autorité d’une princesse, tandis que plus loin, un jeune homme mi-fugue mi raisin tient la grappe à un type à l’allure baba mais lui très rhum. Ils échangent sur les avantages d’être cheminot sans savoir que le prix à payer est une parfaite sobriété.


Attardons nous sur cette jeune femme intarissable qu’on trouve si souvent dans nos trains après avoir déjà capté notre attention sur les quais, qu’elle regarde si peu.

La Fille du train parle en marchant, mais personne n’a encore eu l’occasion de fayoter si elle parlait en dormant. Plus ou moins chenillée à un destin de papillon, elle bat de l’aile en brassant du vent au gré d’une actualité affligeante qu’elle répand sur Insta avec de vilains tic et quelques affreux toc, en plus d’en faire profiter tout sa voiture, dans laquelle elle opère son service après vente.


La voilà qui cause à son téléphone qu’elle tient comme une tartelette, si bien qu’on s’attendrait à ce qu’elle le dévore. Comme sa vie est fort bruyante à défaut d’être intéressante, si l’on en juge au regard des autres voyageurs, personne ne serait offusqué qu’on la lui reprenne. L’iPhone ferait bien l’affaire, elle ne serait pas la première fille aux ongles de sorcière à s’étouffer avec une pomme.


Un rappel à la réglementation à défaut des règles de savoir vivre, ces mots qui résument autant de concepts radioactifs auxquels elle n’a pas pour l’heure été exposée, la conduisent à rabaisser sa télé portable au rang d’un vulgaire téléphone, hélas sans clapet.

Elle manifeste sa contrariété lorsque je demande à voir son titre de transport d’un soupir de soupirant, sans doute de peur de perdre le fil de cette conversation décousue à en louper une maille mais qu’un interlocuteur spécialiste du Morse semblait capter.


Le temps d’en prendre congé au sons d’un « faut que j’te laisse y'a le contrôleur », la difficulté consiste désormais à tapoter l’écran tactile de son téléphone flanquée d’une protubérance ongulaire improbable en plastique écume de mer qu’elle aura piqué dans la boite de Mediators d’un groupe gipsy et collé à la va-vite, surement dans un train précédent.

Elle a néanmoins la dextérité d’un télégraphiste sous-marinier qui passerait en mode urgence absolue en ayant entendu un Larsen au sonar. Comme au même moment le train passe dans un tunnel, la scène s’éclaire d’une parodie de film catastrophe, mais en version écume de mer.


Puisqu’elle descend au prochain arrêt, j’aurai un dernier coup d’oeil de vigilance en la voyant descendre du train téléphone à la main, et la perdrai dans les Escalators sans être parfaitement rassuré. Elle n'aurait pas été la première qui disparaitrait d’un coup sous mes yeux d'avoir loupé le marchepied ou qui espérait que le train déploie son comble lacune comme par magie sous ses pieds pour combler surtout le vide intersidéral de son inconscience.


Elle n’en aurait surement pas lâché son téléphone pour autant...


Le train plonge dans un silence d’absolution, qui n’était pas sans peine.


Par chance ce jour là, cette voyageuse ne rejoindra pas les évaporés des playlists et autres accros casqués aux stories, les mêmes qui vous demandent de répéter un message de sécurité ou se demandent ce que vous leur voulez lorsque vous vous présentez devant eux un appareil de contrôle en main.

La chance aujourd'hui n'avait pas d'écouteurs mais elle n'a pas de memoire non plus.


L’Alchimiste








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